« Bientôt n’est pas loin », s’inquiétait chaque jour Bartolo en sortant de sa maison de bois sous tôle, posée à l’aplomb d’une falaise. Le temps était maussade ce matin-là et l’homme, un vieux chapeau de feutre vissé sur la tête, se doutait bien en fermant le portail de fer forgé que la journée n’allait pas être de tout repos. Après s’être levé du mauvais côté du lit, il avait déjà piqué une colère devant la cohorte de fourmis qui s’était glissée sous sa porte.
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Bartolo se dirigea vers la forêt où il espérait faire provision de plantes médicinales pour soigner ses rhumatismes qui, à l’approche de l’hiver austral, commençaient à se réveiller. Au détour d’un raidillon, il tomba nez à nez sur un énorme arbre dont les branches s’alourdissaient de fruits volumineux. Si Bartolo avait tout de suite reconnu les feuilles allongées d’un manguier, il demeura bouche bée devant les grosses poires multicolores qui pendaient en grappes.
« Mon Dieu, miséricorde ! » s’exclama Bartolo qui n’en revenait pas de sa découverte. Il se frotta les yeux, s’approcha de l’arbre. Non, il n’avait pas la berlue. Le manguier portait bien des fruits qui n’étaient pas les siens. Bartolo, mû par la curiosité, cueillit l'une de ces poires exotiques. Elle était ferme au toucher, et sa fragrance mélangeait l'odeur douce et sucrée d'une mangue à la fraîcheur subtile d'une poire. Tenté, il voulut en prendre une bouchée lorsque, tout à coup, une voix aigüe retentit derrière lui.
"Que faites-vous là?" dit une femme d'un certain âge, vêtue d'une robe noire, avec des cheveux poivre et sel noués en un chignon serré.
"Ces fruits... Ils sont magnifiques," répondit Bartolo, encore émerveillé par sa découverte.
"C'est l'œuvre de mon grand-père," déclara-t-elle avec fierté. « Il était botaniste et avait rêvé de fusionner le meilleur de deux mondes pour en faire l’arbre de la connaissance. Quiconque mangera de ce fruit en sera totalement transformé. En bien ou en mal, c’est selon », ajouta-t-elle, sentencieuse.
Bartolo ne voulut prendre aucun risque. Il remit le fruit à la grand-mère au regard de sorcière et poursuivit son chemin sans demander son reste. Peut-être serait-il devenu millionnaire à l’heure qu’il est ou alors en enfer, mais comment savoir ?
« Peut-être que demain le soleil ne se lèvera pas », songea Bartolo en rentrant chez lui ce soir-là. D’où lui venait cette réflexion ? Il n’en avait pas la moindre idée.
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