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Les fioles s’alignaient sur l’établi, fragiles sentinelles aux lueurs ambrées. Dans le silence du laboratoire, seules les gouttes tombaient, une à une, dans le bécher gradué. Chaque note, pesée, éprouvée, semblait s’évaporer avant même d’avoir existé.
Adrien Levasseur referma le carnet de cuir qui, depuis trois ans, recueillait ses tentatives infructueuses. Il avait cru que la Bretagne lui livrerait ses secrets, que les vallées humides, les landes rases et les forêts denses lui souffleraient la formule impossible. Il avait humé la roche après la pluie, approché son visage des granits froids des cimetières, cherché dans les crins des bœufs le fumet animal qui arrimerait son parfum à la chair. Il voulait la mer et la sève, le cuir et le vent, le poivre et le foin coupé. Tout à la fois.
Il avait vieilli dans cette quête. Son visage s’était creusé, ses joues étaient devenues du parchemin. L’odeur de l’iris flottait sur sa peau, mêlée à celle de la bergamote et du ciste. La chimie de son propre corps avait fini par fusionner avec son obsession.
Il se redressa et ouvrit la fenêtre. Le vent du soir s’engouffra, chargé d’une odeur de sel et de tourbe. Derrière lui, le ronronnement d’un flacon vide roulant sur le bois troubla le silence.
— Ce parfum n’existe pas, murmura-t-il, la voix râpeuse.
Il s’approcha des étagères. Des absolues, des concrètes, des macérats… Tout était là. Mais tout était faux. Il referma les yeux.
Le souvenir d’un matin d’enfance lui revint : sa mère épluchait une orange dans la cuisine. Son père rentrait de la pêche, les bottes humides de goémon. Il se souvenait du feu qui crépitait, du cuir râpé du fauteuil, de la vapeur du café mêlée à l’odeur douce de la cire d’abeille. Cette alchimie-là, il ne l’avait jamais capturée.
Une détonation sèche retentit. Il rouvrit les yeux. Une pipette venait d’exploser sous la pression de ses doigts. Un minuscule éclat de verre s’était fiché dans sa paume. Une perle de sang perla, brillante comme un rubis noir. Il la porta à son nez.
Métallique. Salé. Organique.
Il ferma les paupières et inspira longuement.
C’était cela. L’ultime note.
L’essence qu’il cherchait depuis toujours portait son propre sillage
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